Enfants, nous avons tous rêvé. Certains rêvent de ce qu’ils deviendront adultes, d’autres imaginent les endroits qu’ils visiteront. Pour moi, c’était différent. Je rêvais du jour où je serais propriétaire d’un chien de race pure et participante aux expositions canines. Pendant que mes amis planifiaient leurs carrières de médecin ou songeaient à Disneyland, je me voyais comme participante à l’événement canin le plus prestigieux de l’Amérique du Nord, l’exposition annuelle du
Westminster Kennel Club.
Petite, je passais des heures sans fin étendue sur notre tapis à regarder Westminster à la télévision. Je me rappelle ma maman me reprochant d’être assise trop près de l’appareil en insistant que j’abimais mes yeux. Assise les yeux rivés sur l’écran, j’imaginais le jour où je ferais mon entrée dans l’enceinte.
Au fil des ans, mon amour pour le sport n’a fait que grandir. Mon argent de poche servait à acheter tous les magazines possibles sur les chiens à la pharmacie du coin. J’étais déterminée à tout apprendre sur les chiens. Adolescente, mon rêve n’est pas mort. Des membres de ma famille n’ont jamais compris à quel point ce projet m’était important – personne n’appréciait la valeur d’un tel rêve. J’avoue que je n’avais moi non plus compris à quel point cela me tenait à cœur jusqu’au jour où le rêve s’est enfin réalisé.
C’était le 8 avril 2017 – le moment tant attendu allait enfin se produire. Me voilà à l’âge de 39 ans m’apprêtant à entrer dans l’enceinte. Ce n’était pas Westminster, mais tout comme. L’adrénaline était de la partie et divers scénarios se bousculaient dans mon esprit : « Si je trébuchais en me déplaçant… Si Victor se soulageait dans l’enceinte…». Enfin, le préposé annonce : « Mâle n
o 204 standard à poil dur », et j’avance dans l’enceinte, puis j’attends que le juge se tourne vers moi et m’adresse la parole. Le juge pointe du doigt la direction que je dois prendre et me dit : « sur la table ».
Nous avons passé un weekend incroyable – deux rubans pour le meilleur chiot du groupe! Ces superbes rubans de couleur orange étaient pour moi comme de l’or olympique! J’ai quitté l’exposition en me disant : « Ça y est. L’avenir nous appartient! » Mais ces faux sentiments de sécurité et de confiance seraient sévèrement contestés lors de la prochaine série d’événements.
C’était un weekend du mois de mai et nous étions prêts pour la compétition. Cependant, je n’avais pas pris en considération certains facteurs, notamment que Victor était dans une phase plutôt maladroite de sa croissance – il était tout en longueur et ses proportions n’étaient pas très équilibrées. De plus, je n’avais pas imaginé que Victor serait un peu rebelle et ne voudrait pas marcher. Tous les chiens aiment la marche, non? Apparemment, non. Cet instant-même, j’ai réalisé que mes connaissances n’étaient pas du tout à la hauteur. Pendant que je tentais de faire avancer mon compagnon quadrupède, la réalité de la situation m’a frappée. Victor n’était plus un jeune chiot et les juges seraient plus exigeants envers lui ainsi qu’à mon égard. Je me démarquais comme une réelle débutante. Je me rappelle que le juge m’a dit : « le chien ça va, mais vous n’allez pas très bien. Il vaudrait peut-être mieux prendre une pause et demander à un autre manieur de présenter le chien. » J’ai quitté l’enceinte à ce moment-là les yeux dans le vide avec ce sentiment pénible qu’est la défaite. Je n’avais pas réussi à faire valoir le plein potentiel de Victor. C’est le moment où j’ai réalisé que je n’avais au bout du compte aucune idée de ce que je faisais.
À la fin du weekend et suite à quatre défaites, j’ai même suggéré aux copropriétaires/éleveurs de Victor que ce serait peut-être préférable si eux le maniaient. Heureusement, ils ont immédiatement refusé et m’ont dit que Victor était mon garçon et que je devais poursuivre mes efforts. Mais je me suis tout de même posé la question à savoir si j’avais une place dans le monde des expositions canines. Le dimanche soir, étendue sur mon lit, j’ai regardé Victor et je me demandais comment nous y arriverions. Est-ce que mon rêve d’enfant était tout simplement un rêve enfantin issu de l’imagination d’une petite fille qui aimait les chiens?
J’avais pourtant suivi des cours jusqu’à ce point et je croyais être préparée, mais j’étais loin d’être au niveau nécessaire pour être en compétition. Lorsque cette réalité m’a frappée, j’ai décidé que soit j’abandonnais, soit je serais de la partie. J’ai décidé de rester, mais ce serait pour concourir avec les meilleurs, et pour ce faire, il fallait que je devienne une des meilleures. Je me suis informée et on m’a dit que Peter Drake était la personne qui pouvait m’aider. Je n’ai pas hésité. J’ai contacté cet entraîneur de renommée et lui ai demandé si je pouvais suivre son cours. Je l’ai toutefois averti que j’arrivais avec une étiquette de mise en garde : manieuse débutante d’un certain âge qui n’a aucune idée de ce qu’elle fait, accompagné d’un dachshund standard à poil dur obstiné – la patience sera de mise. Sa réponse? « On se voit mardi soir à 18 h 15. »
Je me suis mise à l’appeler « coach » immédiatement, car c’est le rôle que je lui attribue. J’étais avide d’apprendre, mais plus important encore, j’étais prête à accepter que je pouvais effectivement devenir une très bonne manieuse. Au cours des mois suivants, Peter m’a appris d’importantes leçons au sujet des expositions et du maniement. Entre ses instructions et mon désir d’apprendre, je commençais à penser autrement. Au fait, j’ai transformé ma façon de penser; ce n’était plus moi qui maniais mon chien, c’était le chien et moi qui faisions équipe. Victor avait ses tâches à accomplir et moi de même. Ensemble, si nous accomplissions bien notre travail, nous serions invincibles!
Le parcours pour se rendre à l’enceinte d’exposition évolue constamment, et avec le temps, vous évoluez tout autant. Il est primordial de réaliser que le processus prendra le temps qu’il faut, et que la seule défaite, c’est de se laisser définir par les échecs.
La leçon la plus complexe que j’ai apprise à ce jour est que ce qu’on perçoit initialement comme étant un échec ne l’est pas du tout. Chaque fois qu’on entre dans l’enceinte est une victoire, De nombreuses personnes m’ont dit que ce n’était pas possible – je n’ai pas de ruban, donc je n’ai pas gagné. Le fait est que ce n’est pas ce qui m’importe. Je suis entrée dans l’enceinte avec le chien qui selon moi est déjà le meilleur de l’exposition. Dites-moi comment cela ne peut être autre chose qu’une victoire? Bien sûr, les rubans et les prix sont formidables – qui ne souhaite pas obtenir le prix si convoité de Meilleur de l’exposition? Mais j’ai déjà le meilleur chien de l’exposition et ce n’est pas un ruban qui changera son statut à mes yeux.
Je suis fière d’annoncer que Victor a obtenu son titre de Champion canadien au mois de mai 2018. Plus impressionnant encore, nous avons commencé notre parcours vers le titre de Grand champion lors de notre dernière série d’expositions; il a remporté le Meilleur de la race, s’est classé premier dans le groupe des lévriers et chiens courants et nous nous sommes rendus jusqu’à l’enceinte du Meilleur de l’exposition. Certes, nous n’avons pas gagné le Meilleur de l’exposition, mais je peux avouer en toute confiance que c’était tout comme. Je sais maintenant que mon rêve de petite fille de manier son propre chien s’est révélé être mon destin.